Entretien

Le champion du monde de course d’orientation devenu as du marathon

Matthias Kyburz à l'arrivée
Photos: Kristina Lindgren & Enzo Besson
Le coureur suisse Matthias Kyburz a survolé la dernière édition du Marathon de Paris. Au printemps 2024, le huit fois champion du monde de course d’orientation disputait son premier marathon, réalisant un temps qui le qualifiait d’office pour les Jeux Olympiques de Paris. Le souriant natif du canton d’Argovie nous a raconté son parcours lors d’un entretien.
Entretien: Noëlle Sigrist | Temps de lecture: 7 minutes

Quand avez-vous commencé le sport? Avez-vous attrapé le virus au berceau?

Oui, on peut le dire comme ça. J’ai grandi dans une famille où on aime beaucoup le sport. Sur les photos de l’époque, on nous voit toujours en vadrouille. En tant que benjamin d’une fratrie de trois garçons, j’ai toujours imité mes grands frères. J’ai commencé par le football, puis est venue la gymnastique, puis, quand j’avais 13 ans, la course d’orientation.

Qu’est-ce qui vous a amené à la course d’orientation? Comment peut-on si jeune se passionner pour la lecture de cartes géographiques?

En vérité, j’ai toujours largement préféré les disciplines ludiques aux sports stratégiques, mais un jour mon frère s’est mis à la course d’orientation. Ma première motivation a donc simplement été le désir de faire comme lui, bien plus qu’une passion pour les cartes. Mais avec l’âge, j’ai appris à les lire plus facilement et c’est là que j’ai commencé à y trouver du plaisir.

Quand avez-vous fait de ce loisir votre métier?

Ça s’est fait sans que je m’en rende vraiment compte. Le plus difficile a été la période du lycée. Pendant mes années d’études, il est devenu plus simple de jongler avec tout, parce que je pouvais me permettre de manquer un cours pour m’organiser avec plus de souplesse. À la fin de mes études, je suis brièvement passé professionnel. Ça m’a plu, mais avec seulement deux entraînements chez moi, je ne savais pas comment occuper le reste de mes journées. Je voulais tirer profit de ce temps, soit en me lançant dans un nouveau loisir, soit en trouvant un emploi. Je me suis donc décidé pour un poste de chef de projet à temps partiel dans le développement durable. Au cours d’une saison type, la course d’orientation me conduit à passer environ 15 semaines à l’étranger. Il est donc important que je puisse organiser moi-même mon emploi du temps. J’aime beaucoup le fait de m’immerger pendant deux jours dans un tout autre univers et d’utiliser mon temps de manière optimale. Et malgré tout cela, il me reste suffisamment de temps pour m’entraîner.

Dans quelle mesure l’Aide sportive vous a-t-elle soutenu dans votre carrière?

Quand j’étais junior, j’avais un parrain qui m’épaulait. C’est la première personne, en dehors de mon entourage, à m’avoir soutenu financièrement et à avoir cru en moi. C’était un peu spécial. Auparavant, il y avait juste mon papa et ma maman, et tout à coup, quelqu’un arrive de l’extérieur pour m’aider. Pour moi, ça a été comme un coup de propulseur.

Participer aux Jeux Olympiques, c’est un rêve d’enfant?

Quand j’étais enfant, je regardais régulièrement les Jeux Olympiques, mais je n’ai jamais rêvé d’y participer. À l’époque où je me consacrais pleinement à la course d’orientation, il n’était pas question d’une participation aux JO. Ce n’est pas quelque chose qui me manquait ou que je poursuivais particulièrement. Et même quand j’ai commencé les entraînements en vue du marathon, ce n’était pas avec l’arrière-pensée que je pourrais ainsi accéder aux Jeux Olympiques. C’est seulement en janvier, quand nous avons vraiment mis sur les rails le projet de marathon, que je me suis fixé cet objectif de la qualification olympique. À ce moment-là pourtant, c’était pour moi une perspective très lointaine.

Comment vous est venue cette idée de disputer le Marathon de Paris?

Plusieurs facteurs sont entrés en jeu. Tout d'abord, j’ai remporté l’année dernière deux médailles d’or aux Mondiaux de course d'orientation en Suisse, l’aboutissement d’un projet qui m’a fortement sollicité pendant quatre ans. Comme j’évoluais dans le monde de la course d’orientation depuis déjà 14 ans, la question des nouveaux défis que j’allais pouvoir me lancer commençait à me travailler. J’ai même envisagé d’arrêter purement et simplement le sport. Mais mon médecin sportif m’a fait comprendre qu'avec mes aptitudes physiques, je pourrais réaliser un très bon temps lors d’un marathon. Ensuite, je suis devenu père au mois de janvier et je voulais absolument passer le printemps à la maison. C’était difficile à concilier avec la course d’orientation, qui implique beaucoup de déplacements. Mais évidemment, l’attrait pour l’activité physique ne m’avait pas quitté. Courir, c’est quelque chose que je peux faire de chez moi. Lors d’une bonne séance, je peux parcourir entre 35 et 38 kilomètres en m’absentant seulement deux heures. C’est à la fois pratique et très efficace. Ce critère s’est avéré décisif pour parvenir à un meilleur équilibre entre ma vie de famille et ma pratique sportive.

Avez-vous été surpris de votre temps lors du Marathon de Paris?

(Note de la rédaction: Matthias Kyburz a couru son premier Marathon de Paris en 2 h 7 min 44 s, ce qui fait de lui le troisième coureur le plus rapide de l’histoire de Suisse.)

Si vous m’aviez posé la question en décembre, je n’aurais jamais imaginé être capable de réaliser ce chrono. Mi-février, je vous aurais dit qu’il y avait bien une petite lueur d’espoir d’y arriver. Puis, après environ deux mois à m’entraîner, j’ai fait un énorme bond en avant en termes de performances. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à y croire. Mais jusqu’à la ligne de départ, je n’étais pas convaincu de pouvoir réaliser ce temps.

Outre la préparation physique, quelle importance a la force mentale?

Le mental joue énormément. Avant, on disait souvent que courir un marathon, ça se construit sur l’expérience. Mes 15 années passées dans le sport de haut niveau m’ont permis d’apprendre et d’accumuler de l’expérience quant à la manière d’appréhender les situations les plus variées. Un exemple: pendant le Marathon de Paris, ma bouteille d’eau n’était pas là où elle aurait dû se trouver. Il y a dix ans, cela m’aurait certainement déstabilisé. Aujourd’hui, je sais gérer ce genre de situations et elles ne m’affectent plus. C’est le fruit de l’expérience, qui renforce le mental.

À quoi pensez-vous pendant une compétition mondiale?

Long temps de réflexion. Bonne question. J’essaie de repenser à mon Marathon de Paris, mais je me souviens de peu de choses. J’étais très concentré. Comme j’avais étudié le parcours avant la course, je savais quand j’allais croiser le Louvre et la tour Eiffel. J’ai essayé de vraiment mobiliser cette pensée, parce que c’était l’une de mes motivations à courir dans Paris. Pour le reste, je me suis uniquement focalisé sur mes deux lièvres. Au début, je regardais souvent l’heure pour m’assurer que nous étions dans les temps. Mais quand les choses sont devenues vraiment compliquées, je n’ai plus pensé qu’à mon corps.

Dans sa région d’origine, Matthias Kyburz est surnommé «Möhlin Jet», du nom d’un vent local qui permet à Möhlin (AG) de jouir d’un bon ensoleillement.

Allez-vous devenir marathonien?

Je ne sais pas encore clairement. Ce dont je suis sûr, en revanche, c’est que j’aimerais participer au championnat du monde de course d’orientation l’année prochaine. Le fait qu’il se déroule en Finlande, qui est la Mecque de la course d’orientation, m’attire particulièrement. Et il me manque encore le titre de la discipline reine de ce sport: la longue distance. Pour autant, je n’exclus pas de courir un nouveau marathon au printemps ou à l’automne. Une chose après l’autre…

À quoi ressemble une semaine d’entraînement type de Matthias Kyburz?

Lors d’une semaine d’entraînement classique en vue d’un marathon, je cours environ 180 à 190 kilomètres, auxquels s’ajoutent quatre heures de musculation. Il y a des séances clés à caser à chaque semaine d’entraînement: un «long run» d’environ 30-38 kilomètres, ainsi qu’un entraînement fractionné classique, p. ex. un 3 x 5 kilomètres. Troisième séance intensive: un fractionné d’environ 20 x 1 minute à rythme rapide et 1 minute à rythme moyen, par exemple, soit 40 minutes au total.

Peut-on se préparer consciemment aux imprévus, p. ex. aux blessures?

Les séances de musculation dont je parlais visent principalement à éviter les blessures. Je travaille le haut du corps pendant une heure, et les jambes pendant trois heures. Même si une santé parfaite n’est jamais garantie, je ne fais pas cet entraînement musculaire pour gagner en vitesse, mais de façon à éviter les blessures. C’est la seule façon de faire supporter à mon corps la charge d’une course sur 190 kilomètres. Mais entre vouloir en faire toujours plus et écouter mon corps, c’est un véritable exercice d’équilibriste. C’était aussi mon plus grand souci quand je suis passé de l’entraînement pour la course d’orientation à celui pour le marathon. Si en termes d’heures, je m’entraînais autant pour la course d’orientation que je ne l’ai fait pour le marathon, en termes de distance j’arrivais à peu près à 110 kilomètres et 5000 mètres de dénivelé par semaine. À l’heure actuelle, c’est plutôt 500 mètres de dénivelé, en majeure partie sur asphalte. La charge n’est pas la même. J’ai la chance d’avoir évité les blessures graves jusque-là. Il est très important de réussir à équilibrer charge d’entraînement, récupération et renforcement.

Avez-vous un modèle?

Aujourd’hui, non. Avant, c’était Matthias Merz, un coureur d’orientation originaire d’Argovie et également champion du monde. De cinq ans plus âgé que moi. Il n’est pas très connu en Suisse, mais je l’admirais beaucoup. Et tout à coup, nous nous sommes retrouvés tous les deux en équipe nationale. Même si je l’ai ensuite dépassé, il m’a montré la voie et tout ce qu’on pouvait accomplir en tant que coureur d’orientation.

Comment trouvez-vous la motivation de vous entraîner?

En vérité, il ne m’arrive jamais de n’avoir aucune envie de m’entraîner. Bien sûr, les séances intensives ne sont pas toujours agréables, mais je trouve les autres séances amusantes. En fait, quand je ne m’entraîne pas, j’ai un besoin irrépressible d’aller dehors. Je suis fait comme ça, sans sport je ne suis pas bien. Le fait d’avoir un objectif me motive au plus haut point.

Vous êtes devenu père au début de l’année. Cet événement vous a-t-il fait reconsidérer l’importance du sport?

Ça a changé beaucoup de choses dans ma vie, mais pas l’importance que j’accorde au sport, parce que c’est mon métier. Désormais, je décide de mon programme du jour avec une autre personne. Mais pour le moment, je n’ai pas l’impression d’avoir à faire beaucoup de compromis. Je m’entraîne quand j’ai le temps. C’est complètement différent, mais c’est formidable.

Nous félicitons Matthias Kyburz pour sa sensationnelle 30e place au marathon olympique 2024 !

 
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